« Les
opérations de maintien de la paix comme équation désarticulée »
Pr Nadine MACHIKOU, Université
de Yaoundé II
L’une
des théories économiques les plus connues c’est la loi de l'offre et
la demande formalisé dans les années 1838 par Augustin Cournot qui introduit
la courbe de la demande. Il s’agit de la quantité de biens ou de
services que les acteurs sur un marché sont disposés à vendre ou à acheter en
fonction des prix. Cette théorie peut être transposée dans le champ politique,[1]
notamment en matière de maintien de la paix en Afrique. La demande des
opérations de maintien de la paix en Afrique est conditionnée par la quantité
et la qualité des situations de conflit. L’offre renvoie aux solutions
proposées ou imposées par les acteurs internes et externes. Or, la force de
cette théorie repose justement sur l’idée d’un équilibre entre la demande et l’offre.
La
politique de la demande des OMP
La politique de l'offre, d'inspiration libérale,
est un ensemble de mesures favorisant l'offre (abaissement des impôts ou des
charges sociales sur les entreprises, etc.)La politique de la demande, d'inspiration plutôt
keynésienne, est un ensemble de mesures visant à favoriser la croissance
en stimulant la demande (par exemple, en augmentant le SMIC ou le salaire des
fonctionnaires).
En
1941, le juriste allemand Carl Schmitt diagnostiquait en son temps déjà la mort
de l'État, considérant que celui-ci avait perdu le monopole du politique à
l'intérieur de ses frontières et n'était plus le pilier de l'ordre
international. Plus récemment, une sociologue américaine, Sasskia Sassen, a
interprété la mondialisation et
ses ravages comme la manifestation tangible de l'effacement de l'État :
celui qui avait réussi à produire « l'assemblage du national »,
serait menacé par son « désassemblage », résultat des formes modernes
du capitalisme. Il serait devenu une puissance impuissante face aux nouvelles
formes de pouvoir prises par l'économie mondiale. On ne compte plus, par
ailleurs, les essais dans lesquels est annoncé le dépérissement « par en
bas » de l'État, et l’Afrique en est caractéristique. La situation
sécuritaire de l’espace qui nous intéresse ici pose une question simple :
peut-il y avoir des communautés politiques qui ne tiennent que par le jeu de
clientèle ou celui de la libre concurrence entre acteurs de guerre ? Une chose
en tous les cas me paraît acquise : plus on fera la guerre en Afrique, et plus
on transformera l'Afrique en société guerrière. Les opérations de maintien de
la paix posent largement la question de la mise en ordre de ce dépérissement.
Leur
succès ou échec (sur ce point savants et politiques ne partagent pas les vues
sur ce que c’est qu’une entreprise pacificatrice réussie. En l’occurrence, pour
un grand nombre de parties prenantes et en particulier les donateurs, dès qu’il
a organisation d’élection « globalement » transparentes, opération
est un succès. Les cas de la Côte d’ivoire et de la RDC viennent assombrir
cette lecture optimiste. Le succès, quel qu’en soit le visage dépend, d’une
série de ressorts. Dans le même temps, elles fondent une spécialisation entre
dominants et dominés des entreprises pacificatrices et une différenciation des
rôles socio-politiques et militaires en la matière. Or, c’est dans la croyance
dans cet ordre de domination, fondé sur
le réel, que reposent l’équilibre et la stabilité des rapports de force dans
les opérations de maintien de la paix. Rendre compte du cadre au sens de
Goffman, des opérations de maintien de la paix, c’est avant tout se situer dans
un monde social totalisant où des acteurs tiennent des rôles.
Cette communication
suggère qu’un modèle explicatif combinant l’offre et la demande de maintien de
la paix peut être une entrée heuristique pour penser à partir d’un
questionnement nouveau un champ déjà débroussaillé même si la région qui est
ici retenue demeure un impensé. L’économie politique pourrait être un cadre à
cette analyse mais ici, c’est l’analyse des politiques publiques qui sera
l’entrée privilégiée. Cette équation a donc deux termes : l’offre et la
demande de maintien de la paix.
L’offre réfère aux dispositifs
d’action publique internationale (politiques
bilatérales, communautaires que des
politiques étrangères) constituées en réponse pour la mise en œuvre de la paix.
Ce dispositif est à la fois pratique et symbolique est s’est progressivement vu
investi ces dernières années à la faveur d’un repli occidental (des revers onusiens en Somalie, au Rwanda et en ex-Yougoslavie)
d’un renforcement de la présence africaine (or division du travail inégalitaire
car l’absence d’un appui ferme de grandes puissance, cette mobilisation connait
des succès mitigé, on a pu le voir en Côte d’ivoire, au Mali, en RDC où les
avancées récentes tiennent à la mise à disposition d’une armée robuste. Pour la
RCA, l’arrivée de troupes française constitue une clé décisive pour le retour à
la paix durable). Classiquement, l’offre est la plus importante
de la part de l’ONU et du Conseil de paix et de sécurité.
La demande quant à elle, plus
ambiguë, se réfère aux attentes formelles et informelles
tant d’acteurs étatiques que d’autres catégories d’acteurs pour des
interventions en faveur de la paix (en RCA, c’est la population, la société
civile et plus récemment le PM qui formulent cette demande). Les uns demandant
un soutien –ressources humaines, financières, logistiques, militaires ? et
la population une intervention. Elle réfère plus largement au profil pays des
lieux de ces opérations.
L’hypothèse avancée ici est
celle d’une désarticulation entre cette offre et cette demande, source
d’inefficacité des opérations de maintien de la paix donne lieu à des réponses
incrémentales au maintien de la paix. Deux lectures permettent de décliner
cette équation désarticulée. D’abord, une demande diffuse et complexe, ensuite,
une offre incrémentale.
I.
PREMIERE
LECTURE : UNE DEMANDE DIFFUSE ET COMPLEXE (n’est
perceptible que si l’on met en perspective les Etats d’Afrique centrale entre
eux, mais aussi par rapport à leur historicité propre
Si le succès des OMP dépend au
moins de ce que Les belligérants collaborent sincèrement et volontairement à la
mise en place du dispositif, de ce que l’opération donne une certaine garantie
de sécurité aux différentes parties prenantes, L’opération porte une attention
particulière aux causes profondes du conflit, la coordination interne et
externe des instruments de paix, ’implication des acteurs clés internes et
externes dans le processus.
De quoi
parlons-nous ?
L'Afrique centrale (la grande)
est de ce point de vue un traceur intéressant. Elle a en effet comme
caractéristiques propres l'arbitraire frontalier avec des traits spécifiques
destabilisant - écologiques, géographiques, et souvent pratiques, ces
frontières sont plus difficiles à contrôler qu'ailleurs -, l'incertitude des constructions étatiques,
l'acuité des pathologies sociales, la force des déséquilibres dans les
richesses tant au sein des Etats qu’entre eux, l'ambiguïté de formes nouvelles
de conflictualité. La période post-bipolaire est ce point de vue un tournant à
ce que l’on peut parfois tenir comme
l’émergence de situations étatiques pré-hobbesiennes (absence de pacte
social) ? En bref, un espace infiniment plus complexe et potentiellement
plus conflictogène. Même si elle n’en a pas le monopole, on voit se mettre en
place une compétition de faiblesse
souvent plus déterminante que la compétition de puissance, ce qui est une
rupture forte dans l'histoire clausewitzienne
de la guerre. Avec catégories très fluides dont l’un des plus
emblématiques sont les "sobels". Pour autant, les Etats n'ont
pas disparu et, autre particularité, la plupart de ces conflits sont alimentés
par un déséquilibre trop fort entre des Etats puissants et ambitieux et des
voisins faiblement institutionnalisés, à la limite de l'identité d'"Etats
faillis". On pense par exemple au Rwanda et à l'Ouganda face au Zaïre
puis au Congo. De fait, « malgré des acquis indéniables en matière de création
des institutions de nature démocratique et de fonctionnement formel de
celles-ci (exemple des élections régulières organisées), quelques menaces,
résidant essentiellement dans les pratiques politiques et le civisme, existent
et font courir des risques à l’Etat burkinabé.
Ces facteurs sont de nombreux ordres et demandent à être examinés minutieusement afin d’établir une priorisation du risque à la stabilité afin d’éclairer les actions de réponses à ces menaces ».
Ces facteurs sont de nombreux ordres et demandent à être examinés minutieusement afin d’établir une priorisation du risque à la stabilité afin d’éclairer les actions de réponses à ces menaces ».
Comment cette réalité peut être
analytiquement appréhendée ?
1. Au-delà des failles de
l’africanisme politique
Réfléchir
sur l’État et le politique en Afrique depuis les indépendances est une tâche à la fois nécessaire et
décourageante. Le chercheur navigue entre les imprécations, les illusions et
les fausses certitudes. Le bon
Pouvoir est démocratique, respectueux des droits et libertés, dévoué
au bien public et à l’intérêt
général. Le mauvais Pouvoir, et dans
les pays d’Afrique est tyrannique, prédateur, patrimonial ou néopatrimonial,
c’est la politique du ventre. Toute littérature sur l’Afrique, qu’elle soit
d’origine africaine ou européenne et américaine, est dominée par ce dualisme ), constate François Borella. Il
faut insister ici sur la nécessité d’aller au-delà de l’africanisme politique
classique qui se « limitent le plus souvent à incriminer l’inadaptation des mécanismes politiques
importés par la colonisation et reproduits après la décolonisation. Ce qui
est en cause, avant les mécanismes démocratiques ou non, c’est le cadre dans
lequel ils se déploient ».
Le
cadre dont il est question ici est celui de 1’État importé, en tant que modèle
de construction politique comme l’horizon de la modernité politique et de la
rationalité. Or, le rare débat sur 1’Etat en Afrique n’a porté que sur son
épiphénomène, en l’occurrence 1’Etat postcolonial, ignorant totalement la
crise en amont qui touche le modèle importé dont ce dernier n’est que la caricature, ou un avatar de la crise de 1’Etat-nation libéral et
la crise de 1’Etat-nation Deux outils analytiques sont souvent
convoqués : la politique du ventre et l’e l’Etat néopatrimonial qui ont
tous en commun la référence la toile de fond du modèle idéal-typique de
domination traditionnelle chez Max Weber. I1 suffit de lire J.-F. Bayart et
J.-F. Médard pour découvrir cette filiation. En effet, dans L’État en
Afrique - la
politique du ventre, la thèse centrale de J.-F. Bayart est
que l’accès au pouvoir d’Etat est également l’accès aux ressources matérielles
et morales de cet Etat. I1 désigne ce
processus d’accaparement arbitraire de l’État et de ses ressources par le terme
G d’accumulation ». Cette accumulation, devient aussi un espace de
coercition et
les accapareurs constituent ou tentent de constituer une classe dominante
soucieuse de construire une l’hégémonie.
Cet État repose sur des fondements autochtones et sur un processus de
réappropriation des institutions coloniales qui en garantissent l’historicité
(p. 3 17). I1 en découle que si 1’État postcolonial repose sur
des fondements autochtones d’un côté, et qu’il a fait l’objet de
réappropriation de l’autre, J.-F. Médard soulignera que « le patrimonialisme
constitue le commun dénominateur de pratiques diverses si
caractéristiques de la vie politique africaine, à savoir le népotisme,
le clanisme, le tribalisme, le régionalisme, le clientélisme, le copinage, le
patronage, le prébendalisme, la corruption, la prédation, le factionnisme,
etc., qu’elles soient fondées sur l’échange social ou sur l’échange
économique » .
Dans une sous-région marquée par des économies d’extraction, ceci constitue une
structure d’opportunité à la fragilisation durable de la paix et constitue le
socle de la demande de paix.
Appréhender
la demande de maintien de la paix, du point de vue du terreau dans lequel il va
s’incruster, c’est rendre compte de deux idées :
Dans les plis d’une gouvernementalité
spécifique (sécurité et bienveillance) pour penser la sécurité humaine
2. Dans les plis d’une
gouvernementalité spécifique (sécurité et bienveillance) pour penser la
sécurité humaine
Il s’agit ici de partir des lumineuses propositions foucaldiennes
sur le gouvernement des corps et des
choses (le biopouvoir). Michel Foucault avait en effet souligné que la gouvernementalisation de l’Etat est
la clé de sa survie. C’est là l’horizon de
la pacification des sociétés africaines. Voir Micheal Mann sur le pouvoir
infrastructurel et « capacité concrète à la fois à concevoir et à mettre
en application leurs propres politiques, c’est-à dire à organiser, ordonner et
façonner la société, que ce soit en matière politique, économique ou militaire.
C’est là le seul espace réel de la lutte et des joutes politiques, cette
gouvernementalisation de l’Etat a tout de même été le phénomène qui a permis à l’Etat de survivre. Et il est
vraisemblable que si l’Etat existe tel qu’il existe maintenant, c’est grâce,
précisément, à cette gouvernementalité qui est à la fois extérieure et
intérieure à l’Etat, puisque ce sont les tactiques de gouvernement qui, à
chaque instant, permettent de définir ce qui doit relever de l’Etat et ce qui
ne doit pas en relever, ce qui est public et ce qui est privé, ce qui est
étatique et ce qui est non-étatique. Donc, si vous voulez, l’Etat dans sa
survie et l’Etat dans ses limites ne doivent se comprendre qu’à partir des
tactiques générales de la gouvernementalité »[2].
Ce pouvoir gouvernementalisé correspond à un changement de rationalité qui substitue des catégories
d’action publique relevant de l’économie politique à celles qui relevaient
antérieurement de la seule défense de l’autorité des dominants dans le jeu
politique. Il apparait que le disciplinarisation de la société est corrélative
de la gestion populationnelle et de la constitution de dispositifs de sécurité
reconfigurant les rapports entre le sujet et la liberté. En étendant
graduellement son emprise sur les société en Afrique centrale, l’Etat se fait
producteur de significations grâce à la mise en branle d’une série
d’instruments d’objectivation[3]. En même temps, elle met au cœur
de la rationalité politique la quête de la félicité et de la prospérité
terrestres. C’est d’ici que part la
conjugaison des destins étatique et d’autorité d’une part, et destin
populationnel et d’intervention donnant lieu au développement de toute une
série de mécanismes visant à assurer l’ordre tout en intervenant. Or
en réalité, ces deux destins se
chevauchent de manière asymétrique. D’une part, un art de gouverner multipliant
les instances de police, réglant les pratiques et les conduites individuelles
(en matière religieuse, alimentaire, d’habitat, santé, sexualité, etc.) dont le
but avoué est de maximisé les forces et l’utilité économique de la population.
En effet, « cet Etat de gouvernement qui s’appuie essentiellement sur la
population et qui se réfère et utilise l’instrumentalisation du savoir
économique, correspondrait à une société dominée par les dispositifs de
sécurité »[4]. Dans les sociétés
occidentales, cette emprise progressive part du modèle de la pastorale
chrétienne avant de se séculariser progressivement grâce à une « série
d’instruments très particuliers, dont la formation est justement contemporaine à
celle de l’art du gouvernement, et s’appelle dans le vieux sens du terme :
la police »[5]. Ce mouvement s’organise en un ensemble de
pratiques visant à tenir les individus par les mécanismes de pouvoir se
réclamant « a-politique » comme l’avait analysé Jean-François
Bayart : La domination bureaucratique se fait au travers des formes
gouvernementales et s’accompagne d’une
intrication des catégories de défense de l’autorité des dominants autour des
politiques disciplinaires et/ou d’intervention directe recourant à des
instruments administratifs (défense, sécurité intérieure, finances, justice,
administration territoriale, etc.),
Ressort
historique, En effet, les deux premières
décennies post-indépendance sont marquées, au Cameroun comme dans bien d’autres
Etats africains, la quête du développement fait partie du triangle magique
(avec la Nation et l’Etat) » qui définit l’ordre des priorités étatiques.
Daniel Bourmaud montrera qu’il fait partie de l’identité même des nouveaux
Etats indépendants : Cette
emprise toujours plus grande de l’Etat sur la vie sociale invoque, sous une forme idéalisée, une forme qui se veut
providentielle, portant en elle le souci populationnel décliné en souci
d’accomplissement de bonheur matériel de ses sujets via le développement et en
souci d’intégration nationale. Ces formes de soucis s’ajoutent aux catégories
de défense de la souveraineté et de l’ordre, donnant une cohérence et une
stabilité à l’art de gouverner.
Ceci
constitue des éléments centraux de contextualisation révélateur de la
complexité du cadre au sens de Goffman, des OMP. Venons-en aux réponses
elles-mêmes.
2. DEUXIEME LECTURE : UNE
OFFRE INCREMENTALE
Si
l’offre en matière de maintien de la paix rencontre des résultats mitigés,
c’est en raison du cadre dans lequel elle s’insère et la dynamique propre de sa
mise en œuvre. L’offre renvoie à des politiques publiques internationales,
c’est-à-dire « c’est tout ce que
la société internationale décide de faire, ou de ne pas faire » d’où la
distance à l’égard de toute posture positiviste. C’est aussi un ensemble
coordonné de décisions et d’actions avec pour caractéristiques fondamentales de
définir les buts à atteindre ainsi que les moyens nécessaires pour remplir les
objectifs fixés. En avançant l’idée de dispositif, nous nous référons à moyens
et instruments à mobiliser : condition pratique de la décision et les moyens
dégagés pour les mettre en œuvre. C’est un dispositif non pas naturel mais un
construit socio- politique. Les réponses
internationales en matière de maintien de la paix ont 5 composantes :
•
un contenu : une PP est un
ensemble d’éléments matériels (ex : texte juridique), d’éléments budgétaires et
d’actes administratifs (nomination de fonctionnaires…). + élément symbolique
qui motive l’action de l’Etat : discours de certains acteurs, certaines prises
de position (ex : campagne d’information sur la prévention routière).
•
Un programme : chaque ministère
développe une politique propre. Au sein d’un même ensemble, on retrouve
différents types de politiques publiques (ex : au sein du ministère de la
culture, la politique du livre est différente de la politique du cinéma). De
plus, contre la toxicomanie, 3 programmes possibles : curatif, préventif ou de
sanction.
•
L’orientation normative : idée qu’une PP est
toujours liée à des normes. Toute PP vise à réaliser des objectifs : soit
satisfaire l’intérêt des acteurs, soit favoriser des clients- idée de
constituency de Lasswell (ex : la politique du cinéma en France).
•
Elément de coercition : l’Etat exerce la
contrainte. Une PP doit exercer une contrainte sur le comportement des acteurs,
qu’ils soient publics ou privés.
•
Le ressort social : expression qui
désigne l’ensemble des acteurs publics ou privés qui participent + ou -
directement à la production et à l’application des PP.
Deux
niveaux peuvent retenir l’attention dans l’analyse, la phase décisionnelle et
la phase de l’implémentation.
Une
structure
inégalitaire et déterminée
Une structure
routinière et de compromis
Au-delà
des explications classiques sur les contraintes de la mise en œuvre des OMP
(voir Hassenteufel, termes, moyens, comportements des acteurs en présences,
comportement des acteurs en charge de la mise en œuvre, la réception
sociopolitique par les cibles), c’est aussi les conditions de la décision en
matière de maintien de la paix sont déterminantes dans le succès.
1. Uns
structure inégalitaire marquée par une division sociale du travail de maintien
de la paix
Il existe plusieurs
manières de contribuer aux opérations de maintien de la paix déployées par les
Nations Unies : en personnel, en financement, en engagement politique, en
soutien. Il existe donc plusieurs types de contributeurs, provenant de
plusieurs zones de déploiement, et leurs motivations à contribuer sont très
variées, même si l’on oppose souvent deux grands groupes de contributeurs : les
contributeurs en troupes et les contributeurs financiers. Ces deux grands
groupes correspondent depuis dix ans de plus en plus à deux grands ensembles du
monde : les pays du Sud, principaux contributeurs de troupes des OMP et les
pays occidentaux, principaux contributeurs financiers. Ces premiers ont un
certain nombre de revendications pour mieux être entendus, écoutés et impliqués
dans les processus décisionnels principalement contrôlés par les seconds. L’enjeu
est aujourd’hui de pouvoir donner plus de cohésion à cet ensemble de
contributeurs.
Les types de contributeurs au maintien de la paix
L’ONU distingue plusieurs types de contributeurs : les contributeurs de troupes (TCCs), les contributeurs de police (PCCs) et les contributeurs financiers (FCCs). Ces groupes forment aussi des groupes de pression ou de négociations (C-34) à part entière qui font avancer leurs intérêts particuliers.
10
principaux contributeurs de l’ONU (TCCs, PCCs, FCCs)
(au
31 janvier 2012)
|
|||||
Pays
|
Troupes
|
Pays
|
Policiers
|
Pays
|
Budget
(quote-part)
|
Bangladesh
|
10 238
|
Bangladesh
|
2 076
|
Etats-Unis
|
27,14%
|
Pakistan
|
9 527
|
Jordanie
|
2 024
|
Japon
|
12,53%
|
Inde
|
8 093
|
Inde
|
1 022
|
Royaume-Uni
|
8,15%
|
Ethiopie
|
6 223
|
Pakistan
|
893
|
Allemagne
|
8,02%
|
Nigeria
|
5 775
|
Népal
|
745
|
France
|
7,55%
|
Egypte
|
4 066
|
Sénégal
|
745
|
Italie
|
5,00%
|
Jordanie
|
3 751
|
Nigeria
|
721
|
Chine
|
3,93%
|
Rwanda
|
3 713
|
Rwanda
|
468
|
Canada
|
3,21%
|
Népal
|
3 601
|
Egypte
|
413
|
Espagne
|
3,18%
|
Ghana
|
2 987
|
Ghana
|
341
|
Corée
du Sud
|
2,26%
|
57 974
|
9 448
|
80,97%
|
TCCs = Troop-Contributing
Countries ; PCCs = Police
Contributing Countries ; FCCs = Financial
Contributing Countries
Les contributeurs de troupes
115 Etats
membres contribuent en troupes aux opérations de maintien de la paix. L’ONU est
actuellement le deuxième « déployeur » de troupes (après les Etats-Unis) de par
le monde avec 93 187 personnes en uniforme et 19 299 civils servant dans 15
opérations de maintien de la paix sur quatre continents. Ces contributeurs
proposent la mise à disposition de leurs troupes sur la base du volontariat. En
retour de l’envoi de militaires, ils reçoivent une compensation sous la forme
d’un forfait appelé troop cost, forfait par homme et par mois de 1 101 $ versé
a posteriori aux pays contributeurs (et non pas aux militaires eux-mêmes).
Les cinq premiers contributeurs de troupes de l’ONU sont le Bangladesh (10 238), le Pakistan (9 527), l’Inde (8 093), l’Ethiopie (6 223) et le Nigéria (4 066) ; ils contribuent à 38% des personnels en uniforme déployés dans ces opérations.
Les contributeurs de police
84 Etats membres
contribuent en policiers ou en forces de police constituées (FPU – Formed
Police Units) aux opérations de maintien de la paix, également sur la base du
volontariat. Pour les policiers (comme pour les observateurs militaires), l’ONU
verse directement et mensuellement aux hommes et femmes qu’elle emploie une MSA
(Mission Subsistence Allowance) dont le montant varie en fonction du pays où
ils sont envoyés. Cette catégorie de contributeurs n’a été créée que récemment,
certains pays s’étant fait une sorte de spécialité dans ce type de contribution
(Jordanie, par exemple) et les opérations de maintien employant de plus en plus
de policiers pour des tâches d’après-conflit.
Les cinq premiers contributeurs de police sont le Bangladesh (2 076), la Jordanie (2 024), l’Inde (1 022), le Pakistan (893) et le Népal au même niveau que le Nigéria (745).
Ces deux premières
catégories sont aussi fusionnées sont l’expression : contributions de personnel
en uniforme.
Les contributeurs financiers
L’ensemble des Etats
membres contribue au budget du maintien de la paix qui s’élève à 7,84 milliards
de dollars pour le biennum 2011-2012. Ces contributions sont donc obligatoires
et fixées selon le produit national brut (PNB) par habitant de chaque Etat
(quote-part corrigée pour tenir compte de divers facteurs tels que la dette
extérieure et la faiblesse du revenu par habitant). Les cinq premiers
contributeurs financiers sont les Etats-Unis, le Japon, le Royaume-Uni,
l’Allemagne et la France ; ils supportent plus de 60% de ce budget.
On évoque rarement les contributeurs de personnel civil, car ces personnels sont des employés de l’organisation, des fonctionnaires internationaux, et ne répondent par conséquent pas aux mêmes règles de déploiement. On évoque encore moins les Etats formant les bataillons de certains Etats, les contributions en termes de capacités (hélicoptères notamment) ou les entreprises de soutien logistique qui répondent à des marchés (procurement).
Cette structure des moyens d’intervention constitue des logiques d’implication de 5 ordre et qui n’ont pas nécessairement une résonance avec la structure de la demande précédemment présentée.
- un ressort militaire : l’engagement régulier dans les OMP permet aux soldats de se confronter à un travail en multinational voire d’améliorer l’interopérabilité des forces ; il permet également aux pays aux armées pléthoriques de maintenir une partie de leurs soldats en dehors du territoire. Les OMP sont par ailleurs un moyen d’entrainer de jeunes armées (exemple du Timor oriental) à peu de frais et de manière progressive. Cela est aussi un moyen de « rentrer » dans le concert des nations (exemple du Timor oriental, du Vietnam, de la Mongolie). Cette contribution militaire peut aussi se faire en fonction des spécialités et des contraintes à chaque armée (exemple du Japon qui déploie principalement des forces de génie ; exemple de la Corée du Sud qui déploie des unités médicales). Les OMP peuvent donc constituer des modes d’intégration et de formation de certaines armées.
- un ressort de leadership régional : cet engagement permet de conforter un statut de puissance régionale (exemple du Brésil) ou au contraire de promouvoir un partenariat régional (Caecopaz en Argentine).
- un ressort politique : l’engagement au sein des OMP répond aux intérêts d’un Etat pour la stabilisation d’une zone (engagement des Européens dans les Balkans, des pays d’Amérique latine en Amérique centrale et de l’Australie au Timor oriental dans les années 90). Cet engagement est aussi utilisé par certains Etats candidats à un siège de membre permanent du Conseil pour renforcer leur légitimité en la matière et remplir l’un des critères exigés pour une telle accession.
- un ressort financier : les dégrèvements qu’accorde l’ONU pour la mise à disposition de forces militaires permettent aux pays en développement d’entretenir leur armée et d’entraîner leurs soldats à moindre frais ; aux pays développés, ils leur permettent aussi un engagement à moindres frais avec des capacités rares (exemple de la FINUL), même si les remboursements de l’ONU ne couvrent pas l’ensemble des frais engagés.
- un ressort économique voire commerciale : l’engagement dans une OMP se fait aussi en fonction des zones d’intérêt économique et d’approvisionnements énergétiques stratégiques (exemple de la Chine en Afrique). La logique commerciale est privilégiée par les Américains qui vendent, à un prix élevé, leurs capacités de transport stratégique.
La fronde des principaux contributeurs de troupes et le fossé grandissant entre contributeurs et décideurs
Pendant longtemps,
les contributeurs de troupes ont été un peu les parents pauvres du maintien de
la paix et peu de monde s’en souciait. Suite au rapport Brahimi, une résolution
traitant de manière spécifique de « la coopération avec les pays fournisseurs
de contingents » a été votée par le Conseil de sécurité. La Résolution 1353
insistait sur le renforcement nécessaire des consultations entre le Conseil de
sécurité, le Secrétariat et les TCCs, par l’organisation de réunions
spécifiques (des « séances publiques ou privées du Conseil de sécurité avec la
participation des pays fournisseurs de contingents » ; des « réunions de
consultation avec les pays fournisseurs de contingents » ; des « réunions entre
le Secrétariat et les pays fournisseurs de contingents ». De fait, seul ce
troisième format de réunions se tient régulièrement, mais elles sont peu
réactives et constituent principalement des réunions de génération de forces.
Les dispositions de cette résolution ont été peu suivies d’effet. Il est un
fait que le Conseil de sécurité dialogue peu avec les contributeurs en troupes
et financiers, par manque de comité militaire (qui aurait été l’instance idoine
de ce genre de consultations), par manque de temps et par manque d’implication
dans la mise en œuvre des opérations qu’il décide.
Au fil des années, un fossé de plus en plus grand s’est creusé entre les différents contributeurs du maintien de la paix : entre ceux qui décident au Conseil et qui contribuent financièrement, et ceux qui contribuent militairement et considèrent « payer le prix du sang » du maintien de la paix. C’est ce fossé et le manque de consensus sur la façon de mener les OMP qui ont bloqué à plusieurs reprises les travaux du Comité spécial sur les opérations de maintien de la paix (C-34), enceinte dans laquelle les grands pays contributeurs peuvent peser. C’est ce fossé qui bloque aussi certaines discussions au sein de la Ve Commission de l’Assemblée générale qui vote le budget des opérations décidées par le Conseil. Contre toute logique d’efficacité, certains Etats du groupe des Non-Alignés utilisent cette instance comme un levier pour faire entendre leurs voix et leurs revendications en bloquant ou diminuant certaines dépenses demandées par le Conseil, conduisant même les principaux contributeurs de troupes à remettre en cause le rôle décisionnel prééminent du Conseil de sécurité dans le maintien de la paix. Il existe là sans doute chez les contributeurs de troupes une forme de pression envers le Conseil pour qu’il leur ouvre son processus de décision, exigence bien entendu inenvisageable pour les membres du Conseil. Ceci constitue assurément une forme de dérive alors que les opérations de maintien de la paix forment chacune « un partenariat global » (pour reprendre la formule du rapport « New Horizon ») où chacun doit prendre une place qui lui est reconnue. Ceci est l’un des grands défis à venir du maintien de la paix que de (re)constituer un tel partenariat.
2. Une
structure routinière et de compromis
Cette
désarticulation tient selon l’approche incrémentaliste des politiques publiques
suggérée par Lindblom[6]
s’oppose à une conception rationnelle de l’action décisionnelle « elle met
l’accent sur la manière dont de nombreux acteurs interviennent au cours d’un
processus de décision en s’efforçant, par tâtonnements, d’aboutir à des
compromis en fonction d’informations partielle. La décision et l’action en
construction ou en consolidation de la paix consiste alors en des démarches
correctives successives, en de nombreux ajustements et en une grande quantité
de micro-décisions sur un modèle d’essai/erreur dans la quête d’une sorte de
consensus social pour la paix. Les acteurs se « débrouillent au
mieux » à travers des pratiques d’adaptation pour élaborer des décisions
qui peuvent échapper à l’épicentre décisionnel de l’intervention. L’on peut
dans cette perspective reprendre les propositions faites dans le cadre du
postulat des sciences sociales qu’est la rationalité limité par essence des
acteurs. L’offre d’OMP est de ce point de vue une alternative satisfaisante. En
conséquence, bien qu’on ait trois générations d’OMP, l’interposition,
l’intervention avec parti pris et l’option allant au-delà des objectifs
sécuritaires de base, on a des enjeux de sécurité humaine, de réforme du
secteur sécuritaire, consolidation de l’Etat de droit et de la démocratie,
construction de la cohésion sociale et soutien à la reconstruction est une
génération si complexe mais si indispensable dans le cas de l’Afrique centrale
explique que les solutions soient fondamentalement des compromis entre acteurs
(cf RDC et M. 23)
-
Conséquemment,
les dispositifs produisent des effets incrémentaux, elle évolue à la marge,
seule une petite partie du dispositif sera modifiée.
c)Le
modèle de la poubelle
4 critères
pour critiquer la RPP :
• Il
n’existe jamais une connaissance de la situation, donc pas de critères de choix
• Les
préférences sont implicites, souvent contradictoires et instables
• Il n’y a
pas de moyens disponibles
• Le
moment de la décision (moment de stress) est tout sauf rationnel, il y a des
affects
Face à une
situation de choix, les acteurs vont prendre la dernière décision qu’ils
viennent de jeter à la poubelle sans vraie rationalité.
Poser le problème des OMP, c’est souligner
non seulement que l’heure a sonné de changer la problématique de 1’État et la
sécurité en Afrique, mais c’est surtout préciser que l’enjeu de cette nouvelle
problématisation se décline sous la forme de trois variables : inadaptabilité du modèle de
l’État-nation extrapolé en Afrique ; redécouverte des tenants et des aboutissants du
modèle de l’État et de la nation inventé par l’Afrique noire précoloniale ; théorisation de ce modèle de
1’Etat impliquant une approche méthodologique globale. En l’absence d’une
maîtrise de ce contexte,
La
ponctualité est la politesse des rois et en démocratie, Monsieur le président,
mesdames et messieurs, nous sommes tous
des rois, je vous remercie.
« Les
opérations de maintien de la paix comme équation désarticulée »
Pr Nadine MACHIKOU, Université
de Yaoundé II
Monsieur
le président, mesdames et messieurs en vos titres, grades et qualités
respectifs, les opérations de maintien de la paix comme équation désarticulée.
A
ce stade de la recherche, il est essentiel d’accompagner cette proposition d’un
point d’interrogation. Trois deux permettent d’en rendre compte.
Un premier fil, empirique : En 1941, le
juriste allemand Carl Schmitt
diagnostiquait en son temps déjà la mort de l'État, considérant que celui-ci
avait perdu le monopole du politique à l'intérieur de ses frontières et n'était
plus le pilier de l'ordre international. Sasskia
Sassen, parlera plus récemment d’un « désassemblage », On ne
compte plus, par ailleurs, les essais dans lesquels est annoncé le dépérissement
« par en bas » de l'État, et l’Afrique en est caractéristique. Or les
opérations de maintien de la paix posent largement la question de la mise en
ordre de ce dépérissement. Leur succès ou échec (sur ce point savants et
politiques ne partagent pas les vues sur ce que c’est qu’une entreprise
pacificatrice réussie. En l’occurrence, pour un grand nombre de parties
prenantes et en particulier les donateurs, dès qu’il a organisation d’élection « globalement »
transparentes, l’OMP s’est clôturée avec succès. Les cas de la Côte d’ivoire et
de la RDC viennent assombrir cette lecture optimiste. Le succès, quel qu’en
soit le visage dépend, d’une série de ressorts. Dans le même temps, elles
fondent une spécialisation entre dominants et dominés des entreprises
pacificatrices et une différenciation des rôles socio-politiques et militaires
en la matière. Or, c’est dans la croyance dans cet ordre de domination, fondé sur le réel, que reposent l’équilibre
et la stabilité des rapports de force dans les opérations de maintien de la
paix. Rendre compte du cadre au sens de Goffman, des opérations de maintien de
la paix, c’est avant tout se situer dans un monde social totalisant où des
acteurs tiennent des rôles.
Second fil : le
fil analytique
Cette communication
suggère qu’un modèle explicatif combinant l’offre et la demande de maintien de
la paix peut être une entrée heuristique pour penser à partir d’un
questionnement nouveau un champ déjà débroussaillé même si la région qui est
ici retenue demeure un impensé. L’économie politique pourrait être un cadre à
cette analyse mais ici, c’est l’analyse des politiques publiques qui sera
l’entrée privilégiée. Cette équation a donc deux termes : l’offre et la
demande de maintien de la paix.
L’offre réfère aux dispositifs
d’action publique internationale (politiques
bilatérales, communautaires que des
politiques étrangères) constituées en réponse pour la mise en œuvre de la paix.
Ce dispositif est à la fois pratique et symbolique. Il s’est progressivement vu
investi ces dernières années à la faveur d’un repli occidental (des revers onusiens en Somalie, au Rwanda et en ex-Yougoslavie)
d’un renforcement de la présence africaine (or division du travail inégalitaire
car l’absence d’un appui ferme de grandes puissance, cette mobilisation connait
des succès mitigé, on a pu le voir en Côte d’ivoire, au Mali, en RDC où les
avancées récentes tiennent à la mise à disposition d’une armée robuste. Pour la
RCA, l’arrivée de troupes française constitue une clé décisive pour le retour à
la paix durable). Classiquement, l’offre est la plus importante
de la part de l’ONU et du Conseil de paix et de sécurité.
La demande quant à elle, plus
ambiguë, se réfère aux attentes formelles et informelles
tant d’acteurs étatiques que d’autres catégories d’acteurs pour des
interventions en faveur de la paix (en RCA, c’est la population, la société
civile et plus récemment le PM qui formulent cette demande). Les uns demandant
un soutien –ressources humaines, financières, logistiques, militaires ? et
la population une intervention. Elle réfère plus largement au profil pays des
lieux de ces opérations.
L’hypothèse avancée ici est
celle d’une désarticulation entre cette offre et cette demande, source
d’inefficacité des opérations de maintien de la paix donne lieu à des réponses
incrémentales au maintien de la paix. Deux lectures permettent de décliner
cette équation désarticulée. D’abord, une demande diffuse et complexe, ensuite,
une offre incrémentale.
II.
PREMIERE
LECTURE : UNE DEMANDE DIFFUSE ET COMPLEXE (n’est
perceptible que si l’on met en perspective les Etats d’Afrique centrale entre
eux, mais aussi par rapport à leur historicité propre
Si le succès des OMP dépend au
moins de ce que Les belligérants collaborent sincèrement et volontairement à la
mise en place du dispositif, de ce que l’opération donne une certaine garantie
de sécurité aux différentes parties prenantes, L’opération porte une attention
particulière aux causes profondes du conflit, la coordination interne et
externe des instruments de paix, ’implication des acteurs clés internes et
externes dans le processus.
De quoi
parlons-nous ?
L'Afrique centrale (la grande)
est de ce point de vue un traceur intéressant. Elle a en effet comme
caractéristiques propres l'arbitraire frontalier avec des traits spécifiques
destabilisant - écologiques, géographiques, et souvent pratiques, ces
frontières sont plus difficiles à contrôler qu'ailleurs -, l'incertitude des constructions étatiques,
l'acuité des pathologies sociales, la force des déséquilibres dans les richesses
tant au sein des Etats qu’entre eux, l'ambiguïté de formes nouvelles de
conflictualité. La période post-bipolaire est ce point de vue un tournant à ce
que l’on peut parfois tenir comme
l’émergence de situations étatiques pré-hobbesiennes (absence de pacte
social) ? En bref, un espace infiniment plus complexe et potentiellement
plus conflictogène. Même si elle n’en a pas le monopole, on voit se mettre en
place une compétition de faiblesse
souvent plus déterminante que la compétition de puissance, ce qui est une
rupture forte dans l'histoire clausewitzienne
de la guerre. Avec catégories très fluides dont l’un des plus
emblématiques sont les "sobels". Pour autant, les Etats n'ont
pas disparu et, autre particularité, la plupart de ces conflits sont alimentés
par un déséquilibre trop fort entre des Etats puissants et ambitieux et des
voisins faiblement institutionnalisés, à la limite de l'identité d'"Etats
faillis". On pense par exemple au Rwanda et à l'Ouganda face au Zaïre
puis au Congo. De fait, « malgré des acquis indéniables en matière de création
des institutions de nature démocratique et de fonctionnement formel de
celles-ci (exemple des élections régulières organisées), quelques menaces,
résidant essentiellement dans les pratiques politiques et le civisme, existent
et font courir des risques à l’Etat burkinabé.
Ces facteurs sont de nombreux ordres et demandent à être examinés minutieusement afin d’établir une priorisation du risque à la stabilité afin d’éclairer les actions de réponses à ces menaces ».
Ces facteurs sont de nombreux ordres et demandent à être examinés minutieusement afin d’établir une priorisation du risque à la stabilité afin d’éclairer les actions de réponses à ces menaces ».
Comment cette réalité peut être
analytiquement appréhendée ?
3. Au-delà des failles de
l’africanisme politique
Réfléchir
sur l’État et le politique en Afrique depuis les indépendances est une tâche à la fois nécessaire et
décourageante. Le chercheur navigue entre les imprécations, les illusions et
les fausses certitudes. Le bon
Pouvoir est démocratique, respectueux des droits et libertés, dévoué
au bien public et à l’intérêt
général. Le mauvais Pouvoir, et dans
les pays d’Afrique est tyrannique, prédateur, patrimonial ou néopatrimonial,
c’est la politique du ventre. Toute littérature sur l’Afrique, qu’elle soit
d’origine africaine ou européenne et américaine, est dominée par ce dualisme ), constate François Borella. Il
faut insister ici sur la nécessité d’aller au-delà de l’africanisme politique
classique qui se « limitent le plus souvent à incriminer l’inadaptation des mécanismes politiques
importés par la colonisation et reproduits après la décolonisation. Ce qui
est en cause, avant les mécanismes démocratiques ou non, c’est le cadre dans
lequel ils se déploient ».
Le
cadre dont il est question ici est celui de 1’État importé, en tant que modèle
de construction politique comme l’horizon de la modernité politique et de la
rationalité. Or, le rare débat sur 1’Etat en Afrique n’a porté que sur son
épiphénomène, en l’occurrence 1’Etat postcolonial, ignorant totalement la
crise en amont qui touche le modèle importé dont ce dernier n’est que la caricature, ou un avatar de la crise de 1’Etat-nation libéral et
la crise de 1’Etat-nation Deux outils analytiques sont souvent
convoqués : la politique du ventre et l’e l’Etat néopatrimonial qui ont
tous en commun la référence la toile de fond du modèle idéal-typique de
domination traditionnelle chez Max Weber. I1 suffit de lire J.-F. Bayart et
J.-F. Médard pour découvrir cette filiation. En effet, dans L’État en
Afrique - la
politique du ventre, la thèse centrale de J.-F. Bayart est
que l’accès au pouvoir d’Etat est également l’accès aux ressources matérielles
et morales de cet Etat. I1 désigne ce
processus d’accaparement arbitraire de l’État et de ses ressources par le terme
G d’accumulation ». Cette accumulation, devient aussi un espace de
coercition et
les accapareurs constituent ou tentent de constituer une classe dominante
soucieuse de construire une l’hégémonie.
Cet État repose sur des fondements autochtones et sur un processus de
réappropriation des institutions coloniales qui en garantissent l’historicité
(p. 3 17). I1 en découle que si 1’État postcolonial repose sur
des fondements autochtones d’un côté, et qu’il a fait l’objet de
réappropriation de l’autre, J.-F. Médard soulignera que « le patrimonialisme
constitue le commun dénominateur de pratiques diverses si
caractéristiques de la vie politique africaine, à savoir le népotisme,
le clanisme, le tribalisme, le régionalisme, le clientélisme, le copinage, le
patronage, le prébendalisme, la corruption, la prédation, le factionnisme,
etc., qu’elles soient fondées sur l’échange social ou sur l’échange économique » . Dans une sous-région marquée
par des économies d’extraction, ceci constitue une structure d’opportunité à la
fragilisation durable de la paix et constitue le socle de la demande de paix.
Appréhender
la demande de maintien de la paix, du point de vue du terreau dans lequel il va
s’incruster, c’est rendre compte de deux idées :
3. Dans les plis d’une
gouvernementalité spécifique (sécurité et bienveillance) pour penser la
sécurité humaine
Il s’agit ici de partir des lumineuses propositions foucaldiennes
sur le gouvernement des corps et des
choses (le biopouvoir). Michel Foucault avait en effet souligné que la gouvernementalisation de l’Etat est
la clé de sa survie.
C’est là l’horizon de la pacification des sociétés africaines. Voir
Micheal Mann sur le pouvoir infrastructurel et « capacité concrète à la
fois à concevoir et à mettre en application leurs propres politiques, c’est-à
dire à organiser, ordonner et façonner la société, que ce soit en matière
politique, économique ou militaire. C’est là le seul espace réel de la lutte et
des joutes politiques, cette gouvernementalisation de l’Etat a tout de même été
le phénomène qui a permis à l’Etat de
survivre. Et il est vraisemblable que si l’Etat existe tel qu’il existe
maintenant, c’est grâce, précisément, à cette gouvernementalité qui est à la
fois extérieure et intérieure à l’Etat,[7].
Ce pouvoir gouvernementalisé correspond à un changement de rationalité qui substitue des catégories
d’action publique relevant de l’économie politique à celles qui relevaient antérieurement
de la seule défense de l’autorité des dominants dans le jeu politique. Il
apparait que le disciplinarisation de la société est corrélative de la gestion
populationnelle et de la constitution de dispositifs de sécurité reconfigurant
les rapports entre le sujet et la liberté. En étendant graduellement son
emprise sur les société en Afrique centrale, l’Etat se fait producteur de
significations grâce à la mise en branle d’une série d’instruments
d’objectivation[8]. En même temps, elle met au cœur
de la rationalité politique la quête de la félicité et de la prospérité
terrestres. C’est d’ici que part la
conjugaison des destins étatique et d’autorité d’une part, et destin
populationnel et d’intervention donnant lieu au développement de toute une
série de mécanismes visant à assurer l’ordre tout en intervenant. Or
en réalité, ces deux destins se
chevauchent de manière asymétrique. D’une part, un art de gouverner multipliant
les instances de police, réglant les pratiques et les conduites individuelles
(en matière religieuse, alimentaire, d’habitat, santé, sexualité, etc.) dont le
but avoué est de maximisé les forces et l’utilité économique de la population.
En effet, « cet Etat de gouvernement qui s’appuie essentiellement sur la
population et qui se réfère et utilise l’instrumentalisation du savoir
économique, correspondrait à une société dominée par les dispositifs de
sécurité »[9]. Dans les sociétés
occidentales, cette emprise progressive part du modèle de la pastorale
chrétienne avant de se séculariser progressivement grâce à une « série
d’instruments très particuliers, dont la formation est justement contemporaine
à celle de l’art du gouvernement, et s’appelle dans le vieux sens du
terme : la police »[10].
Ce mouvement s’organise en un ensemble
de pratiques visant à tenir les individus par les mécanismes de pouvoir se
réclamant « a-politique » comme l’avait analysé Jean-François
Bayart : La domination bureaucratique se fait au travers des formes
gouvernementales et s’accompagne d’une
intrication des catégories de défense de l’autorité des dominants autour des
politiques disciplinaires et/ou d’intervention directe recourant à des
instruments administratifs (défense, sécurité intérieure, finances, justice,
administration territoriale, etc.),
Ressort historique, En effet, les deux premières décennies
post-indépendance sont marquées, au Cameroun comme dans bien d’autres Etats
africains, la quête du développement fait partie du triangle magique (avec la
Nation et l’Etat) » qui définit l’ordre des priorités étatiques. Daniel
Bourmaud montrera qu’il fait partie de l’identité même des nouveaux Etats
indépendants : Cette
emprise toujours plus grande de l’Etat sur la vie sociale invoque, sous une forme idéalisée, une forme qui se veut
providentielle, portant en elle le souci populationnel décliné en souci
d’accomplissement de bonheur matériel de ses sujets via le développement et en
souci d’intégration nationale. Ces formes de soucis s’ajoutent aux catégories
de défense de la souveraineté et de l’ordre, donnant une cohérence et une
stabilité à l’art de gouverner.
Ceci
constitue des éléments centraux de contextualisation révélateur de la
complexité du cadre au sens de Goffman, des OMP. Venons-en aux réponses
elles-mêmes.
4. DEUXIEME LECTURE : UNE
OFFRE INCREMENTALE
Si
l’offre en matière de maintien de la paix rencontre des résultats mitigés,
c’est en raison du cadre dans lequel elle s’insère et la dynamique propre de sa
mise en œuvre. L’offre renvoie à des politiques publiques internationales,
c’est-à-dire « c’est tout ce que
la société internationale décide de faire, ou de ne pas faire » d’où la
distance à l’égard de toute posture positiviste. C’est aussi un ensemble
coordonné de décisions et d’actions avec pour caractéristiques fondamentales de
définir les buts à atteindre ainsi que les moyens nécessaires pour remplir les
objectifs fixés. En avançant l’idée de dispositif, nous nous référons à moyens
et instruments à mobiliser : condition pratique de la décision et les moyens
dégagés pour les mettre en œuvre. C’est un dispositif non pas naturel mais un
construit socio- politique. Les réponses
internationales en matière de maintien de la paix ont 5 composantes :
•
un contenu : une PP est un
ensemble d’éléments matériels (ex : texte juridique), d’éléments budgétaires et
d’actes administratifs (nomination de fonctionnaires…). + élément symbolique
qui motive l’action de l’Etat : discours de certains acteurs, certaines prises
de position (ex : campagne d’information sur la prévention routière).
•
Un programme : chaque ministère
développe une politique propre. Au sein d’un même ensemble, on retrouve
différents types de politiques publiques (ex : au sein du ministère de la
culture, la politique du livre est différente de la politique du cinéma). De
plus, contre la toxicomanie, 3 programmes possibles : curatif, préventif ou de
sanction.
•
L’orientation normative : idée qu’une PP est
toujours liée à des normes. Toute PP vise à réaliser des objectifs : soit
satisfaire l’intérêt des acteurs, soit favoriser des clients- idée de constituency
de Lasswell (ex : la politique du cinéma en France).
•
Elément de coercition : l’Etat exerce la
contrainte. Une PP doit exercer une contrainte sur le comportement des acteurs,
qu’ils soient publics ou privés.
•
Le ressort social : expression qui désigne
l’ensemble des acteurs publics ou privés qui participent + ou - directement à
la production et à l’application des PP.
Deux
niveaux peuvent retenir l’attention dans l’analyse, la phase décisionnelle et
la phase de l’implémentation.
Une
structure
inégalitaire et déterminée
Une structure
routinière et de compromis
Au-delà
des explications classiques sur les contraintes de la mise en œuvre des OMP
(voir Hassenteufel, termes, moyens, comportements des acteurs en présences,
comportement des acteurs en charge de la mise en œuvre, la réception
sociopolitique par les cibles), c’est aussi les conditions de la décision en
matière de maintien de la paix sont déterminantes dans le succès.
3. Uns
structure inégalitaire marquée par une division sociale du travail de maintien
de la paix
Il existe plusieurs
manières de contribuer aux opérations de maintien de la paix déployées par les
Nations Unies : en personnel, en financement, en engagement politique, en
soutien. Il existe donc plusieurs types de contributeurs, provenant de
plusieurs zones de déploiement, et leurs motivations à contribuer sont très
variées, même si l’on oppose souvent deux grands groupes de contributeurs : les
contributeurs en troupes et les contributeurs financiers. Ces deux grands
groupes correspondent depuis dix ans de plus en plus à deux grands ensembles du
monde : les pays du Sud, principaux contributeurs de troupes des OMP et les
pays occidentaux, principaux contributeurs financiers. Ces premiers ont un
certain nombre de revendications pour mieux être entendus, écoutés et impliqués
dans les processus décisionnels principalement contrôlés par les seconds.
L’enjeu est aujourd’hui de pouvoir donner plus de cohésion à cet ensemble de
contributeurs.
Les types de contributeurs au maintien de la paix
L’ONU distingue plusieurs types de contributeurs : les contributeurs de troupes (TCCs), les contributeurs de police (PCCs) et les contributeurs financiers (FCCs). Ces groupes forment aussi des groupes de pression ou de négociations (C-34) à part entière qui font avancer leurs intérêts particuliers.
10
principaux contributeurs de l’ONU (TCCs, PCCs, FCCs)
(au
31 janvier 2012)
|
|||||
Pays
|
Troupes
|
Pays
|
Policiers
|
Pays
|
Budget
(quote-part)
|
Bangladesh
|
10 238
|
Bangladesh
|
2 076
|
Etats-Unis
|
27,14%
|
Pakistan
|
9 527
|
Jordanie
|
2 024
|
Japon
|
12,53%
|
Inde
|
8 093
|
Inde
|
1 022
|
Royaume-Uni
|
8,15%
|
Ethiopie
|
6 223
|
Pakistan
|
893
|
Allemagne
|
8,02%
|
Nigeria
|
5 775
|
Népal
|
745
|
France
|
7,55%
|
Egypte
|
4 066
|
Sénégal
|
745
|
Italie
|
5,00%
|
Jordanie
|
3 751
|
Nigeria
|
721
|
Chine
|
3,93%
|
Rwanda
|
3 713
|
Rwanda
|
468
|
Canada
|
3,21%
|
Népal
|
3 601
|
Egypte
|
413
|
Espagne
|
3,18%
|
Ghana
|
2 987
|
Ghana
|
341
|
Corée
du Sud
|
2,26%
|
57 974
|
9 448
|
80,97%
|
TCCs = Troop-Contributing
Countries ; PCCs = Police
Contributing Countries ; FCCs = Financial
Contributing Countries
Les contributeurs de troupes
115 Etats
membres contribuent en troupes aux opérations de maintien de la paix. L’ONU est
actuellement le deuxième « déployeur » de troupes (après les Etats-Unis) de par
le monde avec 93 187 personnes en uniforme et 19 299 civils servant dans 15 opérations
de maintien de la paix sur quatre continents. Ces contributeurs proposent la
mise à disposition de leurs troupes sur la base du volontariat. En retour de
l’envoi de militaires, ils reçoivent une compensation sous la forme d’un
forfait appelé troop cost, forfait par homme et par mois de 1 101 $ versé a
posteriori aux pays contributeurs (et non pas aux militaires eux-mêmes).
Les cinq premiers contributeurs de troupes de l’ONU sont le Bangladesh (10 238), le Pakistan (9 527), l’Inde (8 093), l’Ethiopie (6 223) et le Nigéria (4 066) ; ils contribuent à 38% des personnels en uniforme déployés dans ces opérations.
Les contributeurs de police
84 Etats membres
contribuent en policiers ou en forces de police constituées (FPU – Formed
Police Units) aux opérations de maintien de la paix, également sur la base du
volontariat. Pour les policiers (comme pour les observateurs militaires), l’ONU
verse directement et mensuellement aux hommes et femmes qu’elle emploie une MSA
(Mission Subsistence Allowance) dont le montant varie en fonction du pays où
ils sont envoyés. Cette catégorie de contributeurs n’a été créée que récemment,
certains pays s’étant fait une sorte de spécialité dans ce type de contribution
(Jordanie, par exemple) et les opérations de maintien employant de plus en plus
de policiers pour des tâches d’après-conflit.
Les cinq premiers contributeurs de police sont le Bangladesh (2 076), la Jordanie (2 024), l’Inde (1 022), le Pakistan (893) et le Népal au même niveau que le Nigéria (745).
Ces deux premières
catégories sont aussi fusionnées sont l’expression : contributions de personnel
en uniforme.
Les contributeurs financiers
L’ensemble des Etats
membres contribue au budget du maintien de la paix qui s’élève à 7,84 milliards
de dollars pour le biennum 2011-2012. Ces contributions sont donc obligatoires
et fixées selon le produit national brut (PNB) par habitant de chaque Etat
(quote-part corrigée pour tenir compte de divers facteurs tels que la dette
extérieure et la faiblesse du revenu par habitant). Les cinq premiers
contributeurs financiers sont les Etats-Unis, le Japon, le Royaume-Uni,
l’Allemagne et la France ; ils supportent plus de 60% de ce budget.
On évoque rarement les contributeurs de personnel civil, car ces personnels sont des employés de l’organisation, des fonctionnaires internationaux, et ne répondent par conséquent pas aux mêmes règles de déploiement. On évoque encore moins les Etats formant les bataillons de certains Etats, les contributions en termes de capacités (hélicoptères notamment) ou les entreprises de soutien logistique qui répondent à des marchés (procurement).
Cette structure des moyens d’intervention constitue des logiques d’implication de 5 ordre et qui n’ont pas nécessairement une résonance avec la structure de la demande précédemment présentée.
- un ressort militaire : l’engagement régulier dans les OMP permet aux soldats de se confronter à un travail en multinational voire d’améliorer l’interopérabilité des forces ; il permet également aux pays aux armées pléthoriques de maintenir une partie de leurs soldats en dehors du territoire. Les OMP sont par ailleurs un moyen d’entrainer de jeunes armées (exemple du Timor oriental) à peu de frais et de manière progressive. Cela est aussi un moyen de « rentrer » dans le concert des nations (exemple du Timor oriental, du Vietnam, de la Mongolie). Cette contribution militaire peut aussi se faire en fonction des spécialités et des contraintes à chaque armée (exemple du Japon qui déploie principalement des forces de génie ; exemple de la Corée du Sud qui déploie des unités médicales). Les OMP peuvent donc constituer des modes d’intégration et de formation de certaines armées.
- un ressort de leadership régional : cet engagement permet de conforter un statut de puissance régionale (exemple du Brésil) ou au contraire de promouvoir un partenariat régional (Caecopaz en Argentine).
- un ressort politique : l’engagement au sein des OMP répond aux intérêts d’un Etat pour la stabilisation d’une zone (engagement des Européens dans les Balkans, des pays d’Amérique latine en Amérique centrale et de l’Australie au Timor oriental dans les années 90). Cet engagement est aussi utilisé par certains Etats candidats à un siège de membre permanent du Conseil pour renforcer leur légitimité en la matière et remplir l’un des critères exigés pour une telle accession.
- un ressort financier : les dégrèvements qu’accorde l’ONU pour la mise à disposition de forces militaires permettent aux pays en développement d’entretenir leur armée et d’entraîner leurs soldats à moindre frais ; aux pays développés, ils leur permettent aussi un engagement à moindres frais avec des capacités rares (exemple de la FINUL), même si les remboursements de l’ONU ne couvrent pas l’ensemble des frais engagés.
- un ressort économique voire commerciale : l’engagement dans une OMP se fait aussi en fonction des zones d’intérêt économique et d’approvisionnements énergétiques stratégiques (exemple de la Chine en Afrique). La logique commerciale est privilégiée par les Américains qui vendent, à un prix élevé, leurs capacités de transport stratégique.
La fronde des principaux contributeurs de troupes et le fossé grandissant entre contributeurs et décideurs
Pendant longtemps,
les contributeurs de troupes ont été un peu les parents pauvres du maintien de
la paix et peu de monde s’en souciait. Suite au rapport Brahimi, une résolution
traitant de manière spécifique de « la coopération avec les pays fournisseurs
de contingents » a été votée par le Conseil de sécurité. La Résolution 1353
insistait sur le renforcement nécessaire des consultations entre le Conseil de
sécurité, le Secrétariat et les TCCs, par l’organisation de réunions
spécifiques (des « séances publiques ou privées du Conseil de sécurité avec la
participation des pays fournisseurs de contingents » ; des « réunions de
consultation avec les pays fournisseurs de contingents » ; des « réunions entre
le Secrétariat et les pays fournisseurs de contingents ». De fait, seul ce
troisième format de réunions se tient régulièrement, mais elles sont peu
réactives et constituent principalement des réunions de génération de forces.
Les dispositions de cette résolution ont été peu suivies d’effet. Il est un
fait que le Conseil de sécurité dialogue peu avec les contributeurs en troupes
et financiers, par manque de comité militaire (qui aurait été l’instance idoine
de ce genre de consultations), par manque de temps et par manque d’implication
dans la mise en œuvre des opérations qu’il décide.
Au fil des années, un fossé de plus en plus grand s’est creusé entre les différents contributeurs du maintien de la paix : entre ceux qui décident au Conseil et qui contribuent financièrement, et ceux qui contribuent militairement et considèrent « payer le prix du sang » du maintien de la paix. C’est ce fossé et le manque de consensus sur la façon de mener les OMP qui ont bloqué à plusieurs reprises les travaux du Comité spécial sur les opérations de maintien de la paix (C-34), enceinte dans laquelle les grands pays contributeurs peuvent peser. C’est ce fossé qui bloque aussi certaines discussions au sein de la Ve Commission de l’Assemblée générale qui vote le budget des opérations décidées par le Conseil. Contre toute logique d’efficacité, certains Etats du groupe des Non-Alignés utilisent cette instance comme un levier pour faire entendre leurs voix et leurs revendications en bloquant ou diminuant certaines dépenses demandées par le Conseil, conduisant même les principaux contributeurs de troupes à remettre en cause le rôle décisionnel prééminent du Conseil de sécurité dans le maintien de la paix. Il existe là sans doute chez les contributeurs de troupes une forme de pression envers le Conseil pour qu’il leur ouvre son processus de décision, exigence bien entendu inenvisageable pour les membres du Conseil. Ceci constitue assurément une forme de dérive alors que les opérations de maintien de la paix forment chacune « un partenariat global » (pour reprendre la formule du rapport « New Horizon ») où chacun doit prendre une place qui lui est reconnue. Ceci est l’un des grands défis à venir du maintien de la paix que de (re)constituer un tel partenariat.
4. Une
structure routinière et de compromis
Cette
désarticulation tient selon l’approche incrémentaliste des politiques publiques
suggérée par Lindblom[11]
s’oppose à une conception rationnelle de l’action décisionnelle « elle met
l’accent sur la manière dont de nombreux acteurs interviennent au cours d’un
processus de décision en s’efforçant, par tâtonnements, d’aboutir à des
compromis en fonction d’informations partielle. La décision et l’action en
construction ou en consolidation de la paix consiste alors en des démarches
correctives successives, en de nombreux ajustements et en une grande quantité
de micro-décisions sur un modèle d’essai/erreur dans la quête d’une sorte de
consensus social pour la paix. Les acteurs se « débrouillent au
mieux » à travers des pratiques d’adaptation pour élaborer des décisions
qui peuvent échapper à l’épicentre décisionnel de l’intervention. L’on peut
dans cette perspective reprendre les propositions faites dans le cadre du
postulat des sciences sociales qu’est la rationalité limité par essence des
acteurs. L’offre d’OMP est de ce point de vue une alternative satisfaisante. En
conséquence, bien qu’on ait trois générations d’OMP, l’interposition, l’intervention
avec parti pris et l’option allant au-delà des objectifs sécuritaires de base,
on a des enjeux de sécurité humaine, de réforme du secteur sécuritaire,
consolidation de l’Etat de droit et de la démocratie, construction de la
cohésion sociale et soutien à la reconstruction est une génération si complexe
mais si indispensable dans le cas de l’Afrique centrale explique que les
solutions soient fondamentalement des compromis entre acteurs (cf RDC et M. 23)
-
Conséquemment,
les dispositifs produisent des effets incrémentaux, elle évolue à la marge,
seule une petite partie du dispositif sera modifiée.
c)Le
modèle de la poubelle
4 critères
pour critiquer la RPP :
• Il
n’existe jamais une connaissance de la situation, donc pas de critères de choix
• Les préférences
sont implicites, souvent contradictoires et instables
• Il n’y a
pas de moyens disponibles
• Le
moment de la décision (moment de stress) est tout sauf rationnel, il y a des
affects
Face à une
situation de choix, les acteurs vont prendre la dernière décision qu’ils
viennent de jeter à la poubelle sans vraie rationalité.
Poser le problème des OMP, c’est
souligner non seulement que l’heure a sonné de changer la problématique de
1’État et la sécurité en Afrique, mais c’est surtout préciser que l’enjeu de
cette nouvelle problématisation se décline sous la forme de trois variables : inadaptabilité du modèle de
l’État-nation extrapolé en Afrique ; redécouverte des tenants et des aboutissants du
modèle de l’État et de la nation inventé par l’Afrique noire précoloniale ; théorisation de ce modèle de
1’Etat impliquant une approche méthodologique globale. En l’absence d’une
maîtrise de ce contexte,
La
ponctualité est la politesse des rois et en démocratie, Monsieur le président,
mesdames et messieurs, nous sommes tous
des rois, je vous remercie.
14. L’Opération des Nations
unies au Burundi (ONUB) a été créée par la résolution 1545 du 21 mai 2004 du
Conseil de sécurité afin de soutenir et d'accompagner les efforts entrepris par
les Burundais pour établir durablement la paix et la réconciliation nationale
dans leur pays, comme prévu par l'Accord d'Arusha.
15. La Mission de l'Union
africaine au Soudan (Darfour) créée en 2004 est chargée de surveiller et
d'observer le respect de l'Accord humanitaire de Cessez-le-feu du 8 avril 2004,
ainsi que de tous les accords subséquents. Elle devait favoriser la
restauration de la confiance et contribuer à l'instauration d'un environnement
sécurisé pour permettre l'acheminement de l'assistance humanitaire. En outre,
elle devait aider au retour des personnes déplacées et des réfugiés et enfin
participer au renforcement de la sécurité sur l'ensemble du Darfour. Voir :
http://www.operationspaix.net/116-operation-muas.html
16. La mission hybride des
Nations unies et de l’Union africaine au Darfour (MINUAD) a été créée par la
résolution 1769 du Conseil de sécurité de l’ONU le 31 juillet 2007. Elle a pour
objectif de mettre fin au conflit opposant les mouvements rebelles à l’armée
soudanaise et aux milices arabes soutenues par le gouvernement soudanais.
17. Au 30 avril 2013, sur les 3
761 soldats de la Force intérimaire de sécurité des Nations unies pour Abyei
(FISNUA), 3 678 d’entre eux étaient éthiopiens soit 97,79% de la force.
18. Le concept de la Force
africaine en attente a été approuvé à Addis-Abeba, en juillet 2004, lors de la
3ème session
ordinaire de l’UA. La Force doit être composée de cinq brigades régionales en
attente et d’un contingent multidisciplinaire pouvant être déployés partout en
Afrique. L’objectif de cette FAA est de s’inscrire dans une logique de
coopération entre l’ONU et l’UA, en procédant à un déploiement rapide de forces
africaines ou à un co-déploiement avec une mission onusienne. Voir Amandine
Gnanguenon, Architecture africaine de paix et de sécurité, http://www.operationspaix.net/10-resources/details-lexique/architecture-africaine-de-paix-et-de-securite.html
et Romain Esmenjaud, La Force africaine en attente, http://www.operationspaix.net/53-resources/details-lexique/force-africaine-en-attente.html
19. Voir la note informative
d’Antoine Esteban sur L’Amérique latine et maintien de la paix, http://www.operationspaix.net/9-resources/details-lexique/amerique-latine-et-maintien-de-la-paix.html
20. La rémunération des
militaires est prise en charge par les gouvernements, dont ils relèvent selon
leur grade dans les forces nationales et selon le barème de rémunération
applicable. Les pays qui fournissent volontairement des contingents aux
opérations de maintien de la paix sont remboursés des coûts par l'ONU sur la
base d'un taux standard approuvé par l'Assemblée générale d'un peu plus de 1
028 dollars par soldat et par mois.
Il en va de même pour la
Mission de l’Union africaine au Soudan (MUAS)15 remplacée par la mission
hybride MINUAD16 qui enregistre une forte participation africaine,
tandis que celle déployée par l’ONU dans la région d’Abyei est essentiellement
composée de soldats africains d’origine éthiopienne17.
Étant donné que la plupart de
ces missions se déroulent sur le continent africain et en raison de leur
volonté de jouer un rôle important au sein de l’organisation mondiale, il est
donc apparu nécessaire pour les pays africains d’être en mesure de répondre à
cette exigence du maintien de la paix. C’est pourquoi d’ailleurs depuis la naissance
de l’Union africaine en 2002 et la mise en place du Conseil de paix et de
sécurité, celle-ci s’active à l’élaboration d’une Architecture africaine de
paix et de sécurité (AAPS) et à la mise en place des Forces africaines en
attente (FAA)18.
Cependant, l’engagement d’un
certain nombre d’États africains à contribuer de manière significative aux
effectifs des Casques bleus peut s’expliquer également par une logique
financière19. Les 1 000 dollars mensuels20 par soldat, que reçoivent ces États pour l’envoi de
troupes dans les missions onusiennes, représentent pour eux une certaine
aubaine. Ces ressources peuvent leur permettre d’entretenir leur armée et
d’entraîner leurs troupes à moindre frais.
Le remboursement par l’ONU des
soldes de leurs soldats aux pays africains se chiffre en millions de dollars,
suivant leur nombre et la durée de leur engagement au sein des missions de
paix. Un facteur qui pourrait donc expliquer leur contribution croissante en
termes de personnels militaires dans de telles missions.
On pourrait déceler cette
logique financière à propos de l’important engagement du Rwanda depuis 2008
dans les opérations de maintien de la paix. Ce pays avait engagé à partir de
1997 près de 25 000 hommes aux côtés de l’Alliance des forces démocratiques de
libération(AFDL) de Laurent Désiré Kabila et plus tard du Rassemblement des
Congolais pour la démocratie (RCD)21. Son effort de guerre était compensé par
l’exploitation des ressources minières de l’est de la République Démocratique
du Congo (RDC)22. L’entretien de ces soldats et les différentes
rotations aériennes pour leur approvisionnement a été estimé par un groupe
d’experts à plus de 50 millions de dollars par an23. La fin de cette guerre en 2003
a donc privé le Rwanda de cette manne financière très importante, si bien que
le pays a dû réaffecter ses soldats dans les opérations de maintien de la paix
pour compenser le manque à gagner24. Ce n’est donc pas sans raison si des pays comme
l’Éthiopie, le Nigeria, le Niger, le Bénin, le Burkina Faso et la Tanzanie ont
triplé, quadruplé ou quintuplé en quelques années leurs effectifs au sein des
missions onusiennes de paix.
Cependant, au-delà de ces
considérations financières, l’engagement régulier au sein des opérations permet
également à certains pays aux armées pléthoriques, comme l’Éthiopie ou encore
le Rwanda, de maintenir une partie de leurs soldats en dehors du territoire. Il
s’agit pour les gouvernants de ces régimes autocratiques d’occuper les troupes
à l’étranger – dans des OMP – tout en les détournant du pouvoir d’État qu’ils
pourraient convoiter. Par ailleurs, la participation régulière aux opérations
de maintien de la paix constitue des opportunités non négligeables en termes de
formation pour ces armées25.
Enfin, la contribution des pays
africains aux effectifs des Casques bleus permet à nombre d’entre eux de
lorgner ou de conforter un statut de puissance régionale. Cet engagement peut
répondre aussi au souci de stabilisation d’une zone afin de promouvoir un
partenariat régional ou à la volonté de renforcer la légitimité des pays
candidats à un siège permanent au sein du Conseil de sécurité des Nations unies26.
Les
pays africains qui figurent parmi les 15 premiers contributeurs de Casques
bleus – à savoir l’Éthiopie, le Nigeria, l’Égypte, le Rwanda, le Ghana, le
Sénégal et l’Afrique du sud – peuvent être considérés comme des "têtes de
listes" des principales sous régions africaines : Afrique du nord
(Égypte), Afrique occidentale (Nigeria), Afrique australe (Afrique du sud),
Afrique centrale et région des grands lacs (Rwanda et Ouganda) et Corne de
l’Afrique (Éthiopie). Outre la logique financière et les considérations
sécuritaires d’ordre interne déjà mentionnées, force est de constater que la
quête d’un leadership régional est à prendre en compte pour expliquer
l’important engagement des pays africains dans le maintien de la paix.
[1]
Voir Bruno Palier, 2008. De
la demande à l’offre, les réformes de la protection sociale en France, Paris,
Presses Universitaires de France. Voire egalement l’usage de cette théorie en
matiere de loi du travail, Albert Cohen, 2010, dir., Sciences Économiques Sociales, Paris, Bordas/SEJER,
[2]. Ewald F.,
Fontana A., Senellart M. (dir), Sécurité,
territoire, population, Cours au Collège de France, 1977-1978, Leçon du 1er
février 1978, Paris, Gallimard-Le Seuil, 2004, p.113.
[3] Voir sur ce point Bourdieu P.,
« Habitus, code et codification », Annales de la recherche en
sciences sociales, n° 65, 1986, pp 40-45.
[4]. Foucault M., Dits et écrits
(1954-1988), tome 3, Paris, Gallimard, 1994, p.656.
[5].
Idem.
[6] Lindblom C., « The Science of
muddling through », Public administration Review, 19, 1959.
[7]. Ewald F.,
Fontana A., Senellart M. (dir), Sécurité,
territoire, population, Cours au Collège de France, 1977-1978, Leçon du 1er
février 1978, Paris, Gallimard-Le Seuil, 2004, p.113.
[8] Voir sur ce point Bourdieu P.,
« Habitus, code et codification », Annales de la recherche en
sciences sociales, n° 65, 1986, pp 40-45.
[9]. Foucault M., Dits et écrits
(1954-1988), tome 3, Paris, Gallimard, 1994, p.656.
[10].
Idem.
[11] Lindblom C., « The Science of
muddling through », Public administration Review, 19, 1959.